Antonino Muratori
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Musique en gériatrie, la vieillesse n'est pas une dé-fête.....
Musique et vieillesse : quels objectifs ? A la faveur d’une sensibilisation accrue, la musique apparaît de plus en plus comme un moyen efficace pour soulager les maux de la vieillesse. Il a en effet été établi que la perception, la sensibilité, l’émotion et la mémoire musicales peuvent survivre longtemps après que les autres formes de mémoire ont disparu, car « le noyau de la personnalité n’est jamais atteint » ; simplement, le chemin adapté pour y accéder se perd. En individuel ou en groupe, et adaptés selon les cas, les principaux objectifs sont : - créer un cadre sécurisé et apaisant permettant d’installer une relation privilégiée, - stimuler les émotions, les aptitudes cognitives et les souvenirs de la personne afin de valoriser le présent, - favoriser une redécouverte positive de son corps à travers les sensations procurées par la musique, en facilitant détente et relaxation, - vivifier le lien relationnel et social afin de briser l’isolement. J’interviens essentiellement, comme c’est souvent le cas en EHPAD, dans le cadre de groupes ouverts auxquels participent des personnes dont l’état physique ou mental peut être relativement disparate. Dès lors, la principale difficulté réside dans l’activation d’une dynamique cohésive. L’axe majeur de mon travail repose sur la voix, le chant et le rythme. Modestement, l’effet thérapeutique majeur attendu en l’espèce est de permettre aux participants de réactiver une énergie et un désir de vivre bien réels. La musique est alors médiatrice, chemin d’accès et lieu de rencontre dès lors que chacun est entendu là où il se trouve et consent à entrer dans la fête. La vieillesse comme une dé-fête ? Une précision importante d’abord : il serait faux de prétendre que la musique pourrait, par elle-même et comme par magie, nous guérir de nos souffrances et plus encore, de la vieillesse envisagée trop souvent comme l’ultime maladie. Dans un quotidien répétitif qui les laisse trop souvent éteints voire dépressifs, ou en confrontation obsédante à un corps qui n’est plus que souffrance, il m’a été donné de constater que l’attente des résidents porte d’abord sur le désir de nouer, grâce à la musique, un lien d’humanité vraie et de vivre un moment de joie. Aborder la séance de musicale comme un temps de fête relève d’un tel décentrage, comme une façon de briser les codes en proposant une autre réalité de nature à infléchir, chez les résidents comme parmi le personnel, la représentation que l’on a de soi. Comme la fête, le temps de la séance est un temps pour se voir différemment et se découvrir autres entre participants, y compris dans ses handicaps, découverte importante au sein du groupe, tant les plus valides tendent à porter un jugement parfois rude sur le voisin, par un mot qui blesse ou une distance qu’ils veulent maintenir, comme pour se prémunir. Qu’on est loin, alors, de la vision proprement désespérante que porte notre société sur les « personnes âgées » perçues comme atteintes d’une maladie incurable et honteuse. Loin aussi de ce jugement définitif dont FREUD lui-même s’est fait l’écho lorsqu’il affirmait : « Les personnes ayant atteint ou dépassé la cinquantaine ne disposent plus de la plasticité des processus psychiques sur laquelle s’appuie la thérapeutique. – Les vieilles gens ne sont plus éducables ». Vivre ce temps de fête est aussi une façon, pour l'intervenant musical, de se défaire du désir de vouloir à tout prix verbaliser et rationaliser afin de se rendre présent, d’abord, à ce qui se vit immédiatement. Au demeurant, si certaines personnes réagissent verbalement au cours de l’audition, une restitution après l’audition est souvent difficile car les impressions sont trop fugitives et ne laissent pas de traces assez nettes dans la pensée. La musique abordée comme une fête, en impliquant la personne tout entière, permet de se libérer, dans une reviviscence non traumatisante, des émotions qui deviennent supportables tout en conférant au présent un statut nouveau, vécu avec le groupe. Un autre objectif du musicien intervenant sera alors, au-delà de son intervention, de pérenniser les effets de cette expérience. Cela pourra se faire notamment en y associant, d’une part l’équipe soignante et accompagnante invitée à porter un regard enrichi sur sa fonction, et d’autre part les familles qui redécouvrent un père ou une grand-mère avec un regard renouvelé.